Adrien Delcros est né le 11
décembre 1892 au domicile de ses parents, au 5, rue de Lancry, à Paris 10ème. Il est le fils de Marie Louise Brifaut,
25 ans, journalière, et d’Eugène, Antoine Delcros, 23 ans, épicier.
Adrien
Delcros est domicilié au 35, avenue des Combattants à Villepinte au moment de
son arrestation (Seine-et-Oise /
Seine-Saint-Denis).
Il
est manœuvre dans la métallurgie.
Conscrit
de la classe 1912, Adrien Delcros est appelé au service militaire le 8 octobre
1913 (1er bureau de Paris, n° matricule 266). Il est mobilisé dans
son corps d’affectation (cavalerie) à la déclaration de guerre (matricule
2147) : caserné à Douai, son régiment de cuirassiers sera en appui de la 3ème
division de cavalerie (de juin 1916 à janvier 1918). Il est engagé dans la
bataille de Picardie. Adrien Delcros est blessé lors de l’offensive allemande (bataille
du Matz), le 9 juin 1918. Il est cité à l’ordre du régiment le 11 août 1918
(ordre n° 286 du Colonel Calla, commandant le 9ème Régiment de
cuirassiers à pied) « blessé à son
poste de combat le 9 juin, alors qu’il contre-battait le feu de l’ennemi
jusqu’à épuisement des munitions ».
Il est libéré des obligations
militaires le 29 août 1919. Il habite alors à Roizy, dans les Ardennes.
Adrien
Delcros épouse Marie, Marguerite Chavigny (1) le 28 février 1920 à Saint-Pellerin
(Eure-et-Loir), où elle est née le 28 février 1899. Le couple qui va résider
dans les Ardennes aura quatre enfants (Suzanne, Daniel, Claude et Monique, ces
deux derniers nés à Villepinte).
La famille s’établit
à Villepinte dans le quartier « Vert-Galant » dans les années
1930.
Adrien Delcros est un militant communiste connu à Villepinte. Les services
des Renseignements généraux le désignent sous le surnom de « la
Coterie », terme souvent employé dans les milieux ouvriers pour désigner des personnes se
soutenant mutuellement, en cherchant par la lutte à faire prévaloir leurs
intérêts communs.
Père de famille de quatre enfants, Adrien Delcros est ramené de ce fait de la classe 1912 à la classe 1902, et n'est donc pas mobilisé lors de la mobilisation générale de septembre 1939.
Le 13 juin 1940, les troupes allemandes de la 718e division
arrivent à Villepinte et se heurtent à la vive résistance la 1ère Compagnie
Gillot du 24e Bataillon de chasseurs alpins. Onze soldats allemands
sont tués. Les chasseurs alpins ayant décroché dans la nuit du 13 au 14 juin,
les soldats allemands fusillent le lendemain en représailles quinze civils au
Vert-Galant dans le Bois Saint-Denis.
Avec l’Occupation allemande, le régime de Vichy
accentue la répression à l’encontre des anciens communistes. Des distributions
de tracts ont eu lieu dès le mois de juillet à Villepinte. Fin novembre 1940, Adrien Delcros
est assigné à résidence, comme des centaines d’anciens membres du Pc ou
syndicalistes qui n’ont pas été arrêtés dans la grande rafle du 5 octobre (arrêté
préfectoral du 24 novembre 1940, assignant à résidence sur le territoire de
leur commune de Seine-et-Oise plus de mille « individus dangereux pour la Défense nationale et la sécurité publique »
en application du décret du 18 novembre 1939 ».
Une
nouvelle distribution de tracts communistes a lieu à Villepinte la veille du
jeudi 1er mai 1941. Le 2 mai 1941, Adrien Delcros est arrêté par des
agents du commissariat de Tremblay-Lès-Gonesse en application des consignes de
Vichy. Pour Adrien Delcros, il s’agit de simples soupçons, non recoupés par les
services des RG, mais cela suffit au commissaire et au Préfet de Seine-et-Oise :
« Ex-militant communiste notoire,
est soupçonné de se livrer à une propagande larvée en faveur de l’ex-parti
communiste et d’être l’un des auteurs des distributions de tracts faites sur le
territoire de la commune de Villepinte ».
 |
Le CSS d'Aincourt |
Le 3 mai 1941, en
application du décret du 3 septembre 1940, Adrien Delcros est interné
administrativement (2) au Centre de « Séjour Surveillé » d’Aincourt, ouvert
spécialement, le 5 octobre 1940, par le gouvernement de Vichy pour y enfermer
les communistes arrêtés. Lire dans le blog Le
camp d’Aincourt.
Lors
de la « révision trimestrielle » de son dossier, le commissaire Andrey directeur du camp émet
un avis négatif sur une éventuelle libération « se fait remarquer par l’ardeur à soutenir ses convictions politiques »
écrit-il. Les « internés administratifs » à Aincourt de 1940 et début
1941 n’ont en effet pas été condamnés : la révision trimestrielle de leurs
dossiers est censée pouvoir les remettre en liberté, s’ils se sont
« amendés »… Andrey, dont l’anticommunisme est connu, a émis
très peu d’avis favorables, même s’il reconnait la plupart du temps la bonne
tenue de l’interné.
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Le Frontstalag 122 |
Le
27 juin 1941 (3), Adrien Delcros est remis aux autorités allemandes, à leur
demande, avec quatre-vingt-sept internés d’Aincourt, qui sont transférés,
via le Fort de Romainville, au camp allemand de Compiègne (Frontstalag 122)
(mémoire de maîtrise d’Emilie Bouin). Ils ont tous été désignés par le
directeur du camp, avec l'aval du Préfet de Seine-et-Oise (in mémoire
de maîtrise d’Emilie Bouin).
A
Compiègne (Frontstalag 122), Adrien
Delcros reçoit le matricule n° 993 Il est affecté au bâtiment C9.
Selon
le témoignage de Charles
Renaud dans une lettre à son épouse, Adrien Delcros collecte comme lui-même
des fonds auprès de ses camarades internés pour la caisse de solidarité du
camp, organisée par la Résistance du camp afin de maintenir le moral des internés et venir en
aide aux plus démunis. Sur la vie au camp de Royallieu lire dans ce blog La solidarité
au camp allemand de Compiègne.
Depuis ce camp, Adrien
Delcros est déporté à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000» (1170 déportés immatriculés à
Auschwitz dans la série des matricules « 45.000 » et
« 46.000 », d'où le nom "convoi des 45000" que les rescapés
se sont donné)
. Ce convoi d’otages composé, pour
l’essentiel, d’un millier de communistes (responsables politiques du parti et
syndicalistes de la CGT)
et d’une cinquantaine d’otages juifs, faisait partie des mesures de représailles
allemandes destinées à combattre, en France, les Judéo-bolcheviks responsables, aux yeux de Hitler, des actions
armées organisées par le parti communiste clandestin contre des officiers et
des soldats de la Wehrmacht,
à partir d’août 1941. Lire dans le blog le récit des deux jours du
transport : Compiègne-Auschwitz
: 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont
présents à l'arrivée du train en gare d'Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces
derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d'Auschwitz (camp
souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre
les numéros « 45157 » et « 46326 ». Ce matricule - qu'il doit apprendre à dire en allemand et en
polonais à toute réquisition - sera désormais sa seule identité pour les
SS et les Kapos.
Le
numéro d’immatriculation d’Adrien Delcros lors de son arrivée à Auschwitz le 8
juillet 1942 est inconnu. Lire dans le blog le récit du premier jour à
Auschwitz : L'arrivée
au camp principal, 8 juillet 1942. et 8
juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, "visite médicale".
Le
numéro « 45443 ? » figurant
dans mon premier ouvrage (et sa réédition modifiée) sur le convoi du 6 juillet
1942 correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par
matricules. Ce numéro, quoique plausible, ne saurait être considéré comme sûr
en raison de l’existence de quatre listes alphabétiques successives, de la
persistance de lacunes pour plus d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur
plusieurs centaines de numéros matricules. Il ne figure plus dans mon dernier
livre Triangles rouges à Auschwitz.
Après
l’enregistrement, Adrien Delcros passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés
du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied
au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le
13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les
SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à
Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à
Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun
des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant
l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est
affecté à cette date.
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Dessin de Franz Reisz, 1946 |
Adrien
Delcros meurt à Auschwitz le 12 septembre 1942 d’après le certificat de décès
établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz, Tome 2 page 218, et
le site internet © Mémorial
et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec sa date et lieu de
naissance, numéro matricule à Auschwitz et date de décès, avec l’indication
« Katolisch » (catholique).
Le
certificat porte comme cause du décès la mention fictive d’« œdème
cardiaque ». L’historienne polonaise Héléna Kubica a révélé comment les
médecins du camp signaient en blanc des piles de certificats de décès avec «l’historique médicale et les causes fictives
du décès de déportés tués par injection létale de phénol ou dans les chambres à
gaz». Lire dans le blog : Des causes de décès
fictives.
Il
est regrettable que l’arrêté ministériel du 6 février 2008 portant
apposition de la mention Mort en
déportation sur les actes de décès d’Adrien Delcros, arrêté paru au Journal
Officiel du 29 février 2008, porte encore la mention « décédé au cours de juillet 1942 en un lieu
indéterminé en Allemagne) ». Il conviendrait
que le ministère prenne désormais en compte les archives du camp
d’Auschwitz emportées par les Soviétiques en 1945, et qui sont accessibles
depuis 1995 (certificats de décès de l’état
civil d’Auschwitz, documents officiels allemands, établis par les médecins du
camp d'Auschwitz, à la mort d'un détenu) et les informations consultables sur le site internet du © Mémorial et Musée
d’Etat d’Auschwitz-Birkenau.
Adrien
Delcros a été déclaré « Mort pour la
France » et homologué comme « Déporté
politique » le 21 septembre 1953. La carte a été attribuée à son
épouse, Mme Marie Delcros.
Adrien Delcros ( GR 16 P 169413) est homologué au
titre de la Résistance intérieure française (RIF) comme appartenant à l’un des
mouvements de Résistance dont les services justifient une pension militaire
pour ses ayants droit.
La demande d’homologation comme
« Déporté Résistant » lui est refusée le même jour.
Par
erreur - due à la méconnaissance de sa date d’arrestation - son nom a été inscrit
sur la stèle commémorative qui commémore la Rafle du 26 octobre 1942 à
Villepinte. Sur le site de l’AJPN concernant la rafle des familles juives à
Villepinte le 26 octobre 1942, puis leur mort en déportation, on trouve néanmoins
la phrase suivante « Adrien Delcros, Jean Grehier et Albertine Hubert ont
été déportés pour leurs idées politiques ».
- Note 1 : L'acte de naissance d'Adrien Delcros porte mention d'un mariage avec Marie, Marguerite Thouvigny. Il s'agit d'une erreur de transcription administrative de l'état civil parisien, car la date de naissance et l'acte de mariage de celle-ci avec Adrien Delcros font bien état du patronyme Chavigny.
- Note 2 : L’internement
administratif a été institutionnalisé par le décret du 18 novembre 1939,
qui donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de
nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé,
« des individus dangereux pour la
défense nationale ou la sécurité publique ». Il est aggravé par le
gouvernement de Vichy fin 1940. La loi du 3 septembre 1940 proroge le
décret du 18 novembre 1939 et prévoit l'internement administratif de
"tous individus dangereux pour la
défense nationale ou la sécurité publique". Les premiers visés sont
les communistes.
- Note 3 : C’est à cette
date que sont également internés à Compiègne un millier de syndicalistes et
communistes raflés à partir du 22 juin 1941, jour de l’attaque hitlérienne
contre l’Union soviétique, par les Allemands avec l’aide de la police française
(nom de code de l’opération : «Aktion
Theoderich»). D’abord amenés à l’Hôtel Matignon (un lieu
d’incarcération contrôlé par le régime de Vichy) ils sont envoyés au Fort de
Romainville, où ils sont remis aux autorités allemandes. Ils passent la nuit
dans des casemates du fort transformées en cachots. Et à partir du 27 juin ils
sont transférés vers Compiègne, via la gare du Bourget dans des wagons gardés
par des hommes en armes. Ils sont internés au camp allemand de Royallieu à
Compiègne (Oise), administré par la Wehrmacht, camp destiné à l’internement des
«ennemis actifs du Reich», alors seul camp en France sous contrôle direct de
l’armée allemande
Sources
- Fichier
national de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC
ex BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche et dossier individuel consultés
en juin 1992 et octobre 1993.
- Mémoire
de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin, juin 2003. Premier camp d'internement des communistes
en zone occupée. dir. C. Laporte. Université de
Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / UFR des Sciences sociales et des
Humanités.
- Liste
des 88 internés d’Aincourt (tous de l’ancien département de Seine-et-Oise)
remis le 27 juin 1941 à la disposition des autorités d’occupation
- Archives
du CSS d'Aincourt aux Archives départementales des Yvelines, cotes W.
- Archives de la Préfecture de police
de Paris, Cartons occupation allemande, BA 2374.
- Death
Books from Auschwitz (registres des morts d'Auschwitz), Musée d’État
d’Auschwitz-Birkenau,
1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de
décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et
le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- @
Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, Office for Information about
Former Prisoners, registres des Blocks.
- © Site Internet
Legifrance.
- © Le CSS d’Aincourt, in blog de Roger Colombier.
- Montage
photo du camp de Compiègne à partir des documents du Mémorial © Pierre Cardon
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par
l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
Notice biographique mise à jour en 2014 et 2019 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages
: «Triangles
rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 »
Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille
otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000»,
éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces
références (auteur et coordonnées du blog) en cas de reproduction ou
d’utilisation totale ou partielle de cette biographie. Pour la compléter
ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel
à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com
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