Marius Barbier est né à « 1
heure du soir » à Verzenay (Marne), le 20 novembre 1900.
Il habite au 92-94, avenue des Rosiers à Saint-Ouen (Seine / Seine-Saint-Denis) au moment de son arrestation. Il est le fils
d’Eugénie Bouvier, 36 ans, vigneronne et d’Eugène, Edmond Barbier, 37 ans,
vigneron, son époux. Ses parents habitent rue du Paradis dans cette petite
commune non loin d’Epernay.
Edmond
Barbier utilise Marius comme prénom. Pour les Renseignements généraux, il est aussi surnommé "Trotsky".
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94/92 rue des Rosiers |
Son registre matricule
militaire nous apprend qu’il mesure 1m 71, a les cheveux blonds, les
yeux bleus, le front moyen et le nez rectiligne, saillie horizontale, le visage
osseux. Au moment de l’établissement de sa fiche, son père est décédé. Il est
mentionné qu’il est vigneron. Il habite à Avize (Marne), un village au pied de
la réputée « Côte des Blancs ». Il a un niveau d’instruction n° 3
pour l’armée (sait lire, écrire et
compter, instruction primaire développée).
Conscrit de la classe 1920, « classé dans la deuxième partie de
la liste » en 1918, pour cause de déformation thoracique, il est appelé au service militaire le 1er
octobre 1920 et incorporé le 11 octobre à la 6ème Section d’infirmiers
militaires (détachement de Lorraine). Il est nommé 1ère classe le 2
mars 1921 et caporal le 8 avril 1921. Il est « envoyé dans la
disponibilité » le 26 septembre et retourne à la vie civile chez sa mère au
13 rue du Paradis à Verzenay.
En mars 1924, il habite au 51 rue des Rosiers, une des rues populaires
de Saint-Ouen.
Le 11 novembre 1932, il est arrêté par des gardiens de la paix et
conduit au poste de police de la rue de la Huchette pour avoir écrit à la craie
« à bas la guerre » sur les murs de la Faculté de Lettres (le 11
novembre 1932, un rassemblement est organisé par le PCF à Vincennes contre
« la guerre impérialiste ». Ces mots d’ordres sont typiques de la
ligne dite de « classe contre classe »). Marius Barbier travaille comme commis aux écritures à la Mairie de Bobigny depuis 1933 (source RG). En décembre 1934, il a déménagé quelques numéros plus loin, au
n° 92. Pour la réserve de l’armée, il est classé « service auxiliaire »
au 6ème SIM pour « grosse déformation du thorax ». Le 2 mars 1936, Marius Barbier, alors commis de mairie à Saint-Ouen, dépose au
Parquet du Tribunal de 1ère instance de la Seine une déclaration de
gérance pour « La Vie Nouvelle », un mensuel ronéotypé. Selon le rapport de police demandé par le procureur, Marius Barbier est alors
marié (il n'en est toutefois pas fait mention sur son acte de naissance à Verzenay, et au recensement de 1936, il vit seul au 92 rue des Rosiers).
Militant
communiste, il s’engage dans les Brigades internationales (1936-1938) pour
défendre la République espagnole contre la rébellion du général Franco, soutenue
par Hitler et Mussolini.
À
son retour d’Espagne, il est réembauché comme commis de bureau à la mairie de
Bobigny à compter du 2 mars 1939 (mention sur son acte de naissance). Il est connu des services de police, comme
tous les anciens Brigadistes.
En 1939, à la déclaration de guerre, il est « rappelé à l’activité » le 6 septembre 1939 au 6ème SIM. Il est classé service armé le 24 février 1940 (commission de réforme de Reims). Il est nommé caporal chef le 1er avril 1940. Selon les Renseignements généraux "au cours de ses permissions diffusait les mots d'ordre de la IIIè Internationale et manifestait des sentiments anti-militaristes". Le 13 juin 1940 l’armée allemande occupe Saint-Denis, puis Saint-Ouen.
Le 14 juin, les troupes de la Wehrmacht
entrent dans Paris, vidée des deux tiers de sa population. La ville cesse
d’être la capitale du pays et devient le siège du commandement militaire
allemand en France. Les troupes allemandes défilent sur les
Champs-Élysées.
Marius Barbier est démobilisé en août 1940.
Dans
la France occupée, devant la recrudescence de la propagande communiste, le gouvernement de Pétain fait opérer dès le
mois d’octobre 1940 par la Police française de nombreuses arrestations à
l’encontre des principaux responsables communistes d’avant-guerre de la région
parisienne.
Le
3 janvier 1941 le Préfet de police de Paris ordonne l’arrestation et l’internement
administratif (1) de Marius Barbier en application de la loi du 3 septembre
1940.
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fiche des RG à Rouillé |
Les termes de celle-ci, qui donnent pouvoir aux Préfets de décider de l’éloignement
et, en cas de nécessité, de l’assignation à résidence dans un centre de séjour
surveillé « des individus dangereux
pour la défense nationale ou la sécurité publique », correspondent
parfaitement à la note des Renseignements généraux concernant Marius
Barbier : « Meneur communiste
très actif. Ancien combattant dans les Brigades Internationales en Espagne.
Très dangereux ». Selon le procès verbal de perquisition de la Brigade spéciale, il a été trouvé à son domicile un pistolet en état de fonctionnement, chargé, de calibre 6, 35 mm.
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Le camp d'Aincourt |
Le
17 janvier 1941, Marius Barbier est transféré au « Centre de séjour
surveillé » d’Aincourt avec un groupe de vingt-trois autres militants
communistes (lire dans le blog : Le
camp d’Aincourt). Il est affecté à la chambre 46.
A
l’été 1941, le camp d’Aincourt est largement saturé et l’administration
centrale qui craint des coups de mains communistes pour libérer le camp a
étudié divers projets - dont celui d’un transfert en Afrique du Nord - pour
retenir les transferts vers des prisons (Gaillon, Fontevrault, Clairvaux) ou
camps plus éloignés de la région parisienne (Rouillé, Voves).
Le
6 septembre 1941, Marius Barbier est
transféré avec 148 autres internés d’Aincourt au CIA de Rouillé (3) pour
l’ouverture du camp.
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Le camp de Rouillé |
Le
14 octobre 1941 le commandant du Centre d’Internement Administratif de Rouillé
s’adresse au Préfet de la Seine pour obtenir des informations concernant les 149
internés provenant du camp d’Aincourt arrivés à Rouillé le 6 septembre 1941. La
réponse du 1er bureau des Renseignements généraux (circulaire n°13.571.D)
lui arrive le 30 octobre (doc C-331.24). Pour Marius Barbier on lit, comme à Aincourt, avec ses
dates et lieu de naissance, adresse et date d’arrestation, comme cause de
l’arrestation « Meneur communiste
très actif. Ancien combattant dans les Brigades Internationales en Espagne.
Très dangereux ».
Le
9 février 1942, Marius Barbier
fait partie d’un groupe de 52 internés communistes qui sont remis aux
autorités allemandes à leur demande, et transférés dans deux wagons à bestiaux au
camp allemand de Royallieu à Compiègne (Fronstalag
122), via Poitiers. 36 d’entre eux seront déportés à Auschwitz avec lui.
D’après sa fiche au DAVCC, il y aurait été immatriculé sous le matricule "5499".
Depuis ce camp, Marius Barbier est déporté à Auschwitz dans le convoi
du 6 juillet 1942 dit des «45000» (1170 déportés immatriculés à
Auschwitz dans la série des matricules « 45.000 » et
« 46.000 », d'où le nom "convoi des 45000" que les rescapés
se sont donné).
Ce convoi d’otages composé, pour l’essentiel, d’un millier de communistes
(responsables politiques du parti et syndicalistes de la CGT) et d’une cinquantaine
d’otages juifs (1170 hommes au moment de leur enregistrement à Auschwitz)
faisait partie des mesures de représailles allemandes destinées à combattre, en
France, les Judéo-bolcheviks
responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti
communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir
d’août 1941. Lire dans le blog le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz
: 6-8 juillet 1942.
Sur les 1175 otages partis de Compiègne le 6 juillet 1942, 1170 sont
présents à l'arrivée du train en gare d'Auschwitz le 8 juillet 1942. Ces
derniers sont enregistrés et photographiés au Stammlager d'Auschwitz (camp
souche ou camp principal, dénommé en 1943 Auschwitz-I) entre
les numéros « 45157 » et « 46326 ». Ce matricule - qu'il doit apprendre à dire en allemand et en
polonais à toute réquisition - sera désormais sa seule identité pour les
SS et les Kapos.
On
ignore son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942
Lire dans le blog le récit de leur premier jour à Auschshwitz
L'arrivée
au camp principal, 8 juillet 1942. et 8
juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, "visite médicale".
Le
numéro «45197 ?» inscrit dans
mes deux premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 (éditions de 1997 et
2000) correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par
matricules. Le numéro matricule de ce déporté dont nous possédons la photo
prise lors de l’immatriculation le 8 juillet, quoique plausible (ordre
alphabétique et visage du déporté qui correspond à l’âge de Marius Barbier), ne
saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence de quatre listes
alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus d’une dizaine
de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros matricules. Seule la
reconnaissance, par un membre de sa famille, ami ou camarade, de la photo
d’immatriculation publiée au début de cette biographie pourrait désormais en
fournir la preuve.
Après
l’enregistrement, Marius Barbier passe la nuit au Block 13 (les 1170 déportés
du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont conduits à pied
au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp principal. Le
13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les spécialistes dont les
SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et vont retourner à
Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les autres, restent à
Birkenau, employés au terrassement et à la construction des Blocks.
Aucun
des documents sauvés de la destruction ordonnée par les SS peu de temps avant
l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de savoir dans quel camp il est
affecté à cette date.
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Dessin de Franz Reisz, 1946 |
Marius
Barbier meurt à Auschwitz le 3 octobre 1942 d’après
le certificat de décès établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from
Auschwitz Tome 2 page 52 et le
site internet © Mémorial
et Musée d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec ses dates et lieux
de naissance et de décès, et avec l’indication « glaubenslos » (athée). La date portée sur son état civil (le 15
décembre 1942) est fictive et correspond à la fixation dans les années
d'après-guerre par l’état civil du Ministère des Anciens combattants et
Victimes de guerre de dates de décès fictives (le 1er, 15 ou 30, 31
d'un mois estimé) afin de donner accès aux titres et pensions aux familles des
déportés. Un arrêté ministériel du 7 mai 1987 paru au Journal Officiel du 30
juin 1987 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur ses actes et
jugements déclaratifs et reprend la date fictive du 15 15 décembre 1942 à
Auschwitz. Il serait logique que le ministère prenne
désormais en compte par un nouvel arrêté la date portée sur son
certificat de décès de l’état civil d’Auschwitz, accessible depuis 1995 (in Death
Books from Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau) et sur le site
internet du Musée d’Auschwitz, qui apporte la preuve de son décès à
Auschwitz ! Lire dans le blog l’article expliquant les différences de
dates entre celle inscrite dans les «Death
books» et celle portée sur l’acte décès de l’état civil français) Les dates de décès
des "45000" à Auschwitz.
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St Ouen Square des 45000 et des 31000 |
À
Saint-Ouen, son nom est gravé sur le Monument de la
Résistance et de la Déportation du cimetière communal et sur la stèle érigée
en « Hommage aux résistants, femmes,
hommes, déportés à Auschwitz-Birkenau », inaugurée le 24 avril 2005 dans le Square des « 45.000 » et des
« 31.000 » (le convoi du 24 janvier 1943).
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Bobigny, plaque en Mairie |
A
Bobigny, une plaque apposée dans le hall de l’hôtel de ville par la section
syndicale CGT honore son nom et celui d’un autre employé communal, Henri
Nozières tous deux morts à Auschwitz.
Marius
Barbier a été déclaré « Mort pour la
France » le 12 juin 1946 et homologué comme « Déporté politique ».
- Note 1 : L’internement
administratif a été institutionnalisé par le décret du 18 novembre 1939,
qui donne aux préfets le pouvoir de décider l’éloignement et, en cas de
nécessité, l’assignation à résidence dans un centre de séjour surveillé,
« des individus dangereux pour la
défense nationale ou la sécurité publique ». Il est aggravé par le
gouvernement de Vichy fin 1940. La loi du 3 septembre 1940 proroge le
décret du 18 novembre 1939 et prévoit l'internement administratif de
"tous individus dangereux pour la
défense nationale ou la sécurité publique". Les premiers visés sont
les communistes.
- Note 2 : Le 23
décembre 1941 le Préfet de police opère une rafle avec perquisitions et
arrestations « chez les membres des
Brigades Internationales » fichés par les RG.
- Note 3 : Le
camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941,
sous la dénomination de «Centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques
venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste
dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres
venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. / In site
de l’Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé.
Sources
- Archives en ligne de la Marne. Etat civil de Verzenay.
- Fichier
national de la Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains (DAVCC
ex BAVCC), Ministère de la Défense, Caen. Fiche microfilmée consultée en décembre
19923.
- Le Maitron, Dictionnaire
biographique du mouvement ouvrier français, Claude Pennetier (dir),
éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997. Edition informatique 2014, notice
Daniel Grason.
- Mémoire
de maîtrise d’Histoire sur Aincourt d’Emilie Bouin, juin 2003. Premier camp
d'internement des communistes en zone occupée. dir. C. Laporte. Université
de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines / UFR des Sciences sociales et des
Humanités.
- Archives de la police / BA 2374
- Archives
du CSS d'Aincourt aux Archives départementales des Yvelines, cotes W.
- Camp
de Séjour Surveillé de Rouillé : archives départementales de la Vienne (109W75).
- Death
Books from Auschwitz (registres des morts d'Auschwitz), Musée d’État
d’Auschwitz-Birkenau,
1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de
décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et
le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- © Site Internet
Legifrance.
- © Site Internet
MemorialGenWeb.
- Photo d'immatriculation à Auschwitz : Musée d'état
Auschwitz-Birkenau / © collection André
Montagne .
- © Le CSS d’Aincourt, in blog de Roger Colombier.
- © Le CCS de Rouillé. In site Vienne Résistance Internement
Déportation.
- © Dessin de Franz Reisz, in « Témoignages sur Auschwitz », ouvrage édité par
l’Amicale des déportés d’Auschwitz (1946).
- Registres matricules militaires.
Notice biographique mise à jour en 2014 et 2019 par Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages
: «Triangles
rouges à Auschwitz, le convoi politique du 6 juillet 1942 »
Editions Autrement, 2005 Paris et de Mille
otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000»,
éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces
références (auteur et coordonnées du blog) en cas de reproduction ou
d’utilisation totale ou partielle de cette biographie. Pour la compléter
ou la corriger, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com
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