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Adrien Dufumier le 12 juin 1916 |
Matricule "45499" à Auschwitz
Adrien
Dufumier
est né le 26 septembre 1895 à Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais), il est le fils de
Maria, Julia Thuilliez, 36 ans, ménagère et de Louis Dufumier, 42 ans, journalier, son époux.
Il habite au 21 rue Simon Bolivar (Paris 19ème) au moment de son arrestation.
Il est apprenti tôlier-zingueur. Selon son
dossier au Komintern (1), il adhère à
la CGT en 1910. Il
sera chaudronnier, puis tôlier-formeur en 1939.
Il subit une condamnation à 25 francs
d’amende pour injures à policiers le
10 décembre 1913 (il est amnistié par la Loi du 24 octobre 1919).
Il signe un engagement volontaire pour 4 ans,
le 14 septembre 1914 à la mairie de Lisieux, au titre du 9ème Régiment
de Hussards (sa famille a peut-être été repliée sur le Calvados au moment de la
déclaration de guerre 1914-1918).
Il rejoint le 9ème corps de
Hussards le 18 septembre (il est immatriculé n° 2921). Il passe ensuite au 22ème
Régiment d’Infanterie (55ème brigade de la 28ème division
de la 14ème armée) le 19 octobre 1914. Son régiment participe à la
reconquête de l’Alsace, à la reprise de Saint-Dié, puis en septembre 1914 à la
bataille de la Marne. Campagne de la Somme et Champagne, Alsace 1915.
Lors des combats victorieux de « La
Poche » et du « Trou
Bricot », Adrien Dufumier est cité à l’ordre du régiment le 1er
octobre 1915, (ordre n° 111) : « À
fait preuve de beaucoup de courage en pénétrant dans une galerie occupée dont
il s’est rendu maître ». Le 22ème
RI est cité à l’ordre de l’armée.
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Bataille de Verdun, le fort de Souville où il est blessé |
Le 22ème RI participe à la
bataille de Verdun en février 1916 et aux combats de Thiaumont. Adrien Dufumier est blessé le 7 août 1916 (plaie perforante par balle au pied gauche)
devant le fort de Souville (Meuse).
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Avec sa fiancée le 12 juin 1916 |
Il est nommé caporal le 11 avril 1917. Adrien
Dufumier se marie la même année avec Suzanne. Il est père d’une fille, Gilette (Gilette Dufumier-Lancry).
Le 26 septembre 1917, il passe au 252ème
Régiment d’Infanterie. Son régiment occupe un secteur « en avant de Courcy, où
Allemands et Français ne sont séparés que par la largeur du canal » … « Dans le courant
des mois de février et mars 1918, le régiment repousse plusieurs coups de main
ennemis, qui restent sans résultats » (Histoire du 252ème RI).
Le 28 mars 1918 Adrien Dufumier est détaché au
1er groupe aviation du
Régiment, comme ouvrier d’aviation. A
ce titre il sera versé personnel
navigant dans la réserve.
Adrien Dufumier est mis en congé illimité au dépôt aéronautique de Lille le 10 août 1919.
Le 19 août 1919, Adrien Dufumier vient habiter
au 13 rue du Capitaine de vaisseau Moras à Boulogne-sur-mer.
Le 16 février 1921, il déménage au 46 rue
Léonard de Vinci à Calais.
Il participe à la réunion du 28 avril 1923
présidée par Paul Vaillant-Couturier au cours de laquelle est fondée la section
locale de Calais de l’ARAC (Association
républicaine des anciens combattants)
Le Maitron.
Il est condamné le 29 avril 1925 à quatre
mois de prison, accusé de « recel », vraisemblablement après une
action contre la guerre du RIF. Il est « cassé de son grade de réserve » sur ordre du général de
brigade commandant le 1er corps d’armée et rayé du « personnel navigant » de la réserve.
Désaffecté de la Réserve du 39ème d’aviation, il est alors affecté
au premier groupe spécial le 24 avril
1925.
Adrien Dufumier devient en 1932 secrétaire de
la section de l’ARAC de Calais (Le
Maitron).
Il adhère en 1926 au Parti communiste, et
devient « stagiaire », parrainé par le secrétaire de rayon, Pierre
Allard (l’adhésion se fait sur parrainage), puis « titulaire ». Il
travaille aux Tôliers Réunis, et il
est alors adhérent au syndicat CGTU de la Métallurgie. Puis il est embauché
chez Dressoir, 86 rue de Paris à Saint Denis.
Il est adhérent aux cellules du PCF n° 1981
et n° 1909. Adrien Dufumier est
un des responsables communistes du quartier Combat dans le 19ème arrondissement (en 1941 les
Renseignements généraux recensent quatre « ex-secrétaires de cellule » du quartier Combat « récemment démobilisés » : Camille Delattre, Alphonse Ducreux, Bataille, Colin). Il
est membre du sous-rayon du 19ème. Il est alors en contact avec
Auguste Touchard, secrétaire général de l’ARAC depuis juin 1936, militant
communiste du 19ème, élu député de la première circonscription du 19ème
le 3 mai de la même année.
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Batterie sur le font de l'Ebre |
Adrien Dufumier s'engage dans les Brigades
Internationales pour la défense de l'Espagne Républicaine. Il arrive à Albacete
en Espagne le 12 novembre 1936.
Il est d’abord téléphoniste au 1er
groupe d’artillerie de la 13ème brigade (soit au bataillon Louise Michel (franco-belge), soit au
bataillon Henri Vuillemin (composée
de Français).
Il est affecté à la 11ème brigade
(bataillon Commune de Paris) entre le
9 février et le 30 août 1936 à la 3ème batterie internationale (compagnie
d'artillerie « Anna Pauker »)
avec le frère d’Henri Gorgue, tous deux sous
les ordres de Gaston Carré (1), militant communiste d’Aubervilliers, capitaine
commandant la batterie Anna Pauker (35ème Division).
Il participe à la première bataille de Téruel
(décembre), à celle de Jarama (entre les 6 et 27 février 1937) dans le
contexte du siège de Madrid par les franquistes. Sa batterie est engagée à
Guadaljarara (du 8 au 11 mars) contre le corps expéditionnaire italien. Dans sa
biographie (RGASPI), il écrit avoir été affecté à une batterie de l’escadron de
cavalerie « Pasionaria » (composé de Belges et de Français), puis
avoir été engagé entre 22 octobre 1937 au 22 octobre 1938 au sein du 2ème
groupe d’artillerie lourde à la bataille de Tolède puis en Estrémadure (la deuxième
bataille de Téruel).
Adrien Dufumier est rapatrié en France le 21
janvier 1939. Il trouve du travail à la Compagnie
Générale de Construction, 114 rue de la Gare à Saint Denis.
Le 19 juillet 1939, il habite au 21 avenue
Simon Bolivar à Paris (19ème). Il y est encore domicilié au moment
de son arrestation.
Le 28 mars 1940, il est « rappelé à l’activité » au dépôt
d’infanterie n° 11. Il devrait alors être « Affecté Spécial » à la Compagnie
Générale de Construction, mais comme son Affectation Spéciale a été annulée, il est réaffecté au dépôt
d’artillerie n°1 à Saint-Omer, le 16 avril 1940.
Quelques mois après l’occupation de Paris par
l’armée allemande, la recrudescence d’inscriptions à la craie, collages de
papillons gommés et diffusions de tracts dans le 19ème arrondissement
a alerté les services de la Préfecture de police, à l’hiver 1940-1941. Des
enquêtes et filatures sont effectuées dans les milieux communistes du 19ème
par les inspecteurs du commissariat du quartier Combat et ceux de la Brigade
spéciale des Renseignements généraux.
Adrien Dufumier est arrêté le 7 février 1941,
pour « activité communiste »
en même temps que 4 autres militants, dont Henri Kesterman (2). Camille Delattre, un autre ancien
des Brigades internationales et Alfred Marinelli , tous deux
militants communistes du 19ème sont arrêtés un mois plus tard, le 6
mars.
Adrien Dufumier est inculpé avec ses
camarades d’infraction aux articles 1 et 3 du décret du 26 septembre 1939 (3).
Il est écroué le même jour à la Maison d’arrêt de la Santé et mis à disposition
du Procureur.
Le 21 mai 1941, il est condamné par la 12ème
chambre du tribunal correctionnel de la Seine à 1 an d’emprisonnement. Il fait
appel de la sentence.
Le 4 juin 1941, il est écroué à la Maison d’arrêt
de Fresnes (registre d’écrou correction
homme n° 8352).
Le 7 novembre 1941 le préfet de police de
Paris, François Bard, ordonne (dossier 214.478) son internement administratif en
application de la Loi du 3 septembre 1940 (2). A la date d'expiration normale
de sa peine d'emprisonnement, il est maintenu au Dépôt de la Préfecture en
attente de transfert.
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16 avril 1942 |
Le 16 avril 1942, à 5 h 50, il fait partie
d’un groupe de 60 militants « détenus
par les Renseignements généraux » qui est transféré de la permanence
du dépôt au camp de Voves (Eure-et-Loir), convoyé par les gendarmes de la 61ème
brigade. Ce camp (Frontstalag n° 202 en 1940 et 1941) était devenu le
5 janvier 1942 le Centre de séjour surveillé n° 15. Il y est interné avec
le n° 99.
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Montage photo |
Dans deux courriers en date des 6 et 9 mai
1942, le chef de la Verwaltungsgruppe
de la Feldkommandantur d’Orléans
envoie au Préfet de Chartres deux listes d’internés communistes du camp de
Voves à transférer au camp d’internement de Compiègne à
la demande du Militärbefehlshabers
Frankreich, le MBF, commandement militaire en
France.
Adrien Dufumier figure
sur la première liste de 81 noms qui vont être transférés le 10 mai 1942 à
Compiègne. Le directeur du camp a fait supprimer toutes les permissions de visite « afin d’éviter que les familles assistent au prélèvement des 81 communistes pris en charge par l’armée d’occupation ». La prise en charge par les gendarmes allemands s’est effectuée le 10 mai 1942 à 10 h 30 à la gare de Voves. Il poursuit « Cette ponction a produit chez les internés présents un gros effet moral, ces derniers ne cachent pas que tôt ou tard ce sera leur tour. Toutefois il est à remarquer qu’ils conservent une énergie et une conviction extraordinaire en ce sens que demain la victoire sera pour eux ». Il indique également « ceux qui restèrent se mirent à chanter la «Marseillaise» et la reprirent à trois reprises ».
Sur les deux listes d’un total de
cent neuf internés, arrivés
au camp allemand de Royallieu à Compiègne (Frontstalag 122) les 10 et 22 juin
1942, 87 d’entre eux seront déportés à Auschwitz.
A Compiègne, selon la famille, il aurait été sollicité par la direction politique de la résistance du camp pour participer à l'évasion réussie du 22 juin. Mais il aurait finalement décliné à cause des représailles inévitables envers sa famille. Quoique sa date d'arrivée à Compiègne soit très proche de celle de l'évasion, son profil (militant communiste actif, ancien poilu décoré de la croix de guerre, ancien Brigadiste en Espagne) plaide pour qu'il ait effectivement été sollicité pour l'évasion qui comprend des politiques et des hommes d'action. Lire dans le blog 22 juin 1942 : évasion de 19 internés.
Adrien Dufumier est déporté à Auschwitz dans
le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000».
Ce convoi d’otages composé, pour l’essentiel, d’un millier de communistes
(responsables politiques du parti et syndicalistes de la CGT) et d’une cinquantaine
d’otages juifs (1170 hommes au moment de leur enregistrement à Auschwitz)
faisait partie des mesures de représailles allemandes destinées à combattre, en
France, les Judéo-bolcheviks
responsables, aux yeux de Hitler, des actions armées organisées par le parti
communiste clandestin contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir
d’août 1941. Lire dans le blog le récit des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz : 6, 7, 8 juillet 1942.
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Il est immatriculé le 8 juillet 1942 |
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Appel à témoignage
en 2014 |
On ignorait son numéro d’immatriculation à son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 : Lire dans le blog le récit de leur premier jour à Auschshwitz L'arrivée au camp principal, 8 juillet 1942. et 8 juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, "visite médicale".
En effet le numéro «45499 ?» inscrit dans mes deux
premiers ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 (éditions de 1997 et 2000)
correspondait à une tentative de reconstitution de la liste du convoi par matricules et était incertain du fait de la présence de 4 listes.
Ce numéro est désormais validé par les petits-enfants d'Adrien Dufumier et en comparant sa photo prise à l'occasion de ses fiançailles en 1916 et la photo du déporté portant ce numéro "45499", très ressemblante malgré les 26 ans d'écart.
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Dessin de Franz Reisz, 1946 |
Après l’enregistrement, il passe la nuit au
Block 13 (les 1170 déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9
juillet tous sont conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4
km du camp principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa
profession. Les spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont
sélectionnés et vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du
convoi. Les autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la
construction des Blocks.
Aucun des documents sauvés de la destruction ordonnée
par les SS peu de temps avant l’évacuation d’Auschwitz, ne nous permet de
savoir dans quel camp il est affecté à cette date
Adrien Dufumier meurt à Auschwitz le 4
novembre 1942 d’après le certificat de décès
établi au camp d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 2, page
244 et le site internet © Mémorial et Musée
d’Etat d’Auschwitz-Birkenau) où il est mentionné avec ses dates, lieux de naissance
et de décès, avec l’indication « Katolisch »
(catholique). Un arrêté ministériel du 6 février 1992 paru au Journal Officiel
du 27 mars 1992 porte apposition de la mention «Mort en déportation» sur ses actes et jugements déclaratifs de
décès en reprenant la date de décès de l’état civil d’Auschwitz.
Adrien Dufumier est homologué comme « Déporté politique ». La carte est
délivrée à Suzanne Dufumier. Une plaque a été apposée sur son domicile rue Simon Bolivar. Elle a été retirée depuis à l'occasion d'un ravalement.
Une cellule du PCF du 19ème a porté son nom.
- Note 1 : Les
volontaires communistes pour les Brigades internationales ont rempli des
biographies, conservées par le Komintern. Arch. AVER (dossier MDN). En octobre 1940, Gaston Carré participa à la mise en place de l’Organisation spéciale (OS) puis, plus tard, des formations militaires de Francs-tireurs et partisans (FTP). À ce titre il supervisa différentes actions de sabotage à partir de juillet 1941 : déraillement de trains de matériel de guerre à Épinay, Gagny, Brétigny ; incendie de stock de caoutchouc à Citroën-Clichy
- Note 2 : Henri
Kesterman sera l’un des 19 évadés du camp de Compiègne : lire dans le blog :
22 juin 1942 : évasion de 19 internés
- Note 3 : La loi du 3
septembre 1940 proroge le décret du 18 novembre 1939 et prévoit
l'internement administratif sans jugement de "tous individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité
publique". Les premiers visés sont les communistes.
Sources
- Fichier national du Bureau des archives des
victimes des conflits contemporains (BAVCC), Ministère de la Défense, Caen.
Fiche individuelle consultée en octobre 1992.
- Registre matricule N° 3122. @ Archives en ligne du
Pas-de-Calais.
- Mairie de Boulogne-sur-mer (1979).
- Historique du 22ème RI (Capitaine
Albert 1920), numérisé par Paul Gagnère.
- Historique du 122ème RI, numérisée
par Xavier Antoine 2010.
- Le
Maitron,
Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Claude
Pennetier (dir), éditions de l’Atelier, CD-Rom édition 1997. Edition
informatique 2013, notice Claude Pennetier. Edition
papier, Tome 26, page 136.
- Indicateur Bijou 1930 (Saint-Denis, Villetaneuse, Pierrefitte).
- Microfilms du
fonds « Brigades internationales » du
RGASPI (Centre russe pour la conservation des archives en histoire politique et
sociale, Moscou) présents à la BDIC de Nanterre. 545.6.1169 (Dij à Dup).
- Archives de la Préfecture de police
de Paris, Cartons occupation allemande, BA 2374.
- Stéphane Fourmas, Le centre de séjour surveillé de Voves (Eure-et-Loir) janvier 1942 -
mai 1944, mémoire de maîtrise,
Paris-I (Panthéon-Sorbonne), 1998-1999.
- © Le CCS de Voves. Archives
départementales d’Eure et Loir, Comité du Souvenir.
- © Dessin de Franz
Reisz, in « Témoignages sur
Auschwitz », ouvrage édité par l’Amicale des déportés d’Auschwitz
(1946).
- Death Books from Auschwitz (registres des morts d'Auschwitz), Musée d’État
d’Auschwitz-Birkenau,
1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de
décès établis au camp d’Auschwitz ayant enregistré, entre le 27 juillet 1941 et
le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Mail de Jean-Pierre Lancry au nom des petits-enfants d'Adrien Dufumier (12 mai 2017).
Biographie
mise
à jour en 2014 et 2017 à partir de la notice rédigée en 2002 par Claudine Cardon-Hamet
pour l’exposition de Paris de l’association «Mémoire vive». Claudine Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur
des ouvrages : «Triangles rouges à Auschwitz, le convoi
politique du 6 juillet 1942 » Editions Autrement, 2005
Paris et de Mille otages pour Auschwitz,
le convoi du 6 juillet 1942 dit des «45000», éditions Graphein, Paris 1997
et 2000 (épuisé). Prière de mentionner ces références (auteur et coordonnées de
ce blog) en cas de reproduction ou d’utilisation totale ou partielle de cette
biographie. Pour compléter ou corriger cette biographie, vous pouvez me
faire un courriel deportes.politiques.auschwitz@gmail.com
Pensez à indiquer les sources et éventuellement les documents dont vous
disposez pour confirmer ces renseignements et illustrer cette biographie.
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