Roger
Mauger est né le 13 septembre 1912 à Paris XIXème.
Il
est le fils d’Augustine Sénécal et d’Henry Mauger, maréchal-ferrant, son époux
(mariés le 12 septembre 1903 à Paris XVIIème).
Il a un frère,
Ernest, né en 1907.
Roger Mauger habite chez ses parents jusqu’en en 1940, au 25
voie Cuvier (où il reçoit sa convocation pour la commission de réforme du
service militaire, le 31 mai 1940).
Il habite ensuite au 4 place de l'Eglise à
Vitry-sur-Seine (Seine / Val-de-Marne) au moment de son arrestation (adresse
relevée sur une liste du camp de Rouillé).
Roger Mauger est célibataire. Il est bourrelier-sellier de formation, travaille chez Citroën, puis est embauché comme manœuvre à l'usine U.D.E. (Union De l’Electricité, à l’usine Arrighi Vitry-Sud).
Comme son père il est membre du Parti communiste. Il est un des animateurs de l’action revendicative dans son usine, ainsi que le consigne le registre du commissariat de Vitry : « Militant fervent, principal propagandiste Union d’électricité ».

Ces renseignements sont consignés dans des fiches individuelles (ci-contre) établies en octobre 1940 par le commissariat de Vitry et réactualisées régulièrement : pour Roger Mauger le 5 avril 1941. Lire l’article du blog Le rôle de la police française dans les arrestations des « 45000 » de Vitry.
Roger Mauger diffuse la presse clandestine communiste pendant l'Occupation. Il est arrêté à son travail par la police française : « Arrêté pour faits politiques. A fait une demande de libération (objet rapport n° 572- 11/05/1941 »). Fiche de police.
On ignore la date exacte de
son arrestation mais il faisait partie des 69 internés des Tourellles transférés le 20 janvier 1941 à la suite de l'arrêté d'internement administratif prononcé par le préfet de police de Paris, Roger Langeron, à la maison centrale de Clairvaux (Aube),
d’où il écrira plusieurs lettres à ses parents. Lire dans le blog La
Maison centrale de Clairvaux
 |
Lettre du camp de Rouillé |
Le 26 septembre, il est
transféré au camp de Rouillé (1). Il y écrit de nombreuses lettres à sa famille.
Le 11 décembre 1941, il décrit la vie quotidienne la « nourriture frugale ». Le 29
décembre il fait état de sanctions qui viennent d’être levées, mais souligne « qu’il n’a droit qu’à un recto, que le préfet
est venu mais qu’il n’y a pas eu d’amélioration pour la nourriture ».
Le 24 février 1942, il fait part du froid, de la neige, de la pluie et de la
boue… « J’ai encore entendu
parler de libération dans le camp. Pour mon compte personnel, cela ne ferait
pas de mal de me faire cette farce là ». Il souhaite que Nénesse (son
frère Ernest) prenne son courage à deux mais et lui donne des nouvelles de tout
le monde.
Le 18 mars 1942, il signale
que « la nourriture a baissé brutalement, presque de moitié. Surtout
que maintenant on ne mange quasiment plus que des rutas (rutabagas) et des
topinambours ». Il parle du bombardement sur Billancourt, mais ne sait
pas s’il y en a eu d’autres. Il signale que le matin même : « les Allemands sont venus chercher 14
copains, pour parait-il aller travailler dans le Nord de la France ». En fait
il s’agit d’un groupe de 14 jeunes communistes qui - à la demande des autorités
allemandes - sont transférés au camp allemand de Royallieu à Compiègne
(Frontstalag 122) en vue de leur déportation comme otages (1).

Le
1er avril il fait part des problèmes de ravitaillement et compte
beaucoup sur les colis. Il parle du mariage de son frère et pense à demander
une permission : « je verrai
bien ce que ça donnera ». Le 22 avril, il parle de la
campagne de Vichy pour le blé : « cette
fameuse campagne pour le blé démontre bien que le pays traverse une crise
économique comme on n’en a jamais vu ». Il fait allusion à « quelques
libérations : mais je me demande à quelles conditions ? Enfin, si je
suis appelé à mon tour pour le questionnaire relatif à la libération, je verrai
de quoi il retourne ». Le 8 avril il écrit : « pour Pâques, nous avons passé deux bonnes
journées (si l’on peut dire dans notre situation) : nous avions organisé
des jeux en plein air et une petite
pièce de théâtre ». Il fait état du bombardement de Saint-Nazaire, et
de celui de la centrale de Gennevilliers.

Le 29 avril, il parle de la
vente de la maison de ses parents : « vous m’en avez bouché une surface ! ». Ses lettres des 6
et 12 mai sont remplies d'humour et de courage.
Début mai 1942,
les autorités allemandes adressent au directeur du camp de Rouillé (2) une
liste de 187 internés qui doivent être transférés au camp allemand de Compiègne
(Frontstallag 122). Le nom de Roger Mauger (n°130) y figure. C’est avec un
groupe d’environ 160 internés (3) qu’il arrive à Compiègne le 22 mai 1942. La
plupart d’entre eux seront déportés à Auschwitz dans le convoi du 6
juillet.
Au camp de
Compiègne (Frontstalag 122), il reçoit le matricule 5943. Par un courrier en date du 29
juillet 1942 envoyé à son père par l’administration du camp, on sait qu’il a
reçu 4 colis : « Pendant sa présence dans le camp de détention de police de Compiègne,
4 paquets ont, en tout, été remis au prisonnier Mauger, à savoir ceux arrivés
les jours suivants : 4 juin, 22 juin, 29 juin, 4 juillet ».
Pour comprendre la politique de l’Occupant qui mène à la déportation de 14
vitriots, voir les deux articles du blog : La
politique allemande des otages (août 1941-octobre 1942) et «une
déportation d’otages».

Il commence une lettre pour ses parents le 5 juillet 1942,
qu’il termine dans le wagon qui l’emporte vers Auschwitz et la jette à un arrêt. Elle arrivera à destination.
Il y écrit : « Compiègne, le
5-7-42. Chers parents. Je suis prêt à
être embarqué pour l’Allemagne, certainement pour travailler. Enfin, il ne faut
pas se frapper. J’ai un moral excellent, et c’est le principal. Le plus
embêtant c’est que je n’ai pas de tabac. Je tâcherai de jeter cette lettre en
cours de route. Je ne sais pas si elle vous parviendra, car je n’ai pas de
timbre. Enfin j’espère qu’elle sera trouvée par une personne (… illisible) et
que vous aurez de mes nouvelles. Je ne vois presque plus clair, aussi j’écris
très mal. Nous avons touché une boule de pain et 3 camemberts, aussi notre
voyage va durer au moins 3 jours dans des wagons à bestiaux. Comptez sur moi
pour vous faire parvenir de mes nouvelles aussitôt que je le pourrais. Ne vous
inquiétez pas, je suis bien portant et pas trop mal traité. Courage, et
confiance, nous arriverons au bout de nos misères. J’arrête, je n’y vois plus
clair. Bons baisers à tous et à bientôt. Roger. Dire que ça fait 18 mois que je
suis enchristé et çà fait 4 fois que je suis déplacé. On a raison de dire que
les voyages forment la jeunesse ».

« Le 6-7-42 Je termine ma lettre dans le
train. 45 par wagon à bestiaux, avec tous nos paquets ce n’est pas drôle. En ce
moment nous roulons en direction de la Belgique, c’est un cheminot qui nous l’a dit. J'ai
tout lieu de croire que nous allons en Silésie (…illisible…) Ne vous en faites
pas, j’ai le moral… Bon, j’ai trouvé un timbre, et j’espère que ma lettre vous
parviendra. Bonjour à tous, Henri, Lucienne, Georges, Nénesse, Georgette et les
copains. Je vous embrasse de tout cœur. Roger. Nous sommes plus de 1100
déportés ».
Roger Mauger est déporté à
Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942 dit des « 45000 » (1170 déportés immatriculés à Auschwitz dans la série des
matricules « 45.000 » et « 46.000 », d'où le nom
"convoi des 45000" que les rescapés se sont donné).
Ce convoi d’otages
composé, pour l’essentiel, d’un millier de communistes (responsables politiques
du parti et syndicalistes de la
CGT) et d’une cinquantaine d’otages juifs (1170 hommes au
moment de leur enregistrement à Auschwitz) faisait partie des mesures de
représailles allemandes destinées à combattre, en France, les Judéo-bolcheviks responsables, aux yeux
de Hitler, des actions armées organisées par le parti communiste clandestin
contre des officiers et des soldats de la Wehrmacht, à partir d’août 1941. Lire dans le blog le récit
des deux jours du transport : Compiègne-Auschwitz
: 6-8 juillet 1942.
Son numéro d’immatriculation
lors de son arrivée à Auschwitz le 8 juillet 1942 est inconnu. Le numéro 45865 ? figurant dans mes deux premiers
ouvrages sur le convoi du 6 juillet 1942 correspondait à une tentative de
reconstitution de la liste du convoi par matricules. Ce numéro, quoique
plausible, ne saurait être considéré comme sûr en raison de l’existence de
quatre listes alphabétiques successives, de la persistance de lacunes pour plus
d’une dizaine de noms et d’incertitudes sur plusieurs centaines de numéros
matricules. Il ne figure plus dans mon ouvrage Triangles rouges à Auschwitz. Lire dans le blog le récit de leur premier jour à
Auschwitz : L'arrivée
au camp principal, 8 juillet 1942. et 8
juillet 1942 : Tonte, désinfection, paquetage, "visite médicale"
Après l’enregistrement, il passe la nuit au Block 13 (les 1170
déportés du convoi y sont entassés dans deux pièces). Le 9 juillet tous sont
conduits à pied au camp annexe de Birkenau, situé à 4 km du camp
principal. Le 13 juillet il est interrogé sur sa profession. Les
spécialistes dont les SS ont besoin pour leurs ateliers sont sélectionnés et
vont retourner à Auschwitz I (approximativement la moitié du convoi. Les
autres, restent à Birkenau, employés au terrassement et à la construction des
Blocks.
Roger Mauger meurt à
Auschwitz le 19 septembre 1942, d’après le certificat de décès établi pour l’état
civil d’Auschwitz (in Death Books from Auschwitz Tome 3 page 791). Il convient de souligner que cent quarante-huit
45000 ont été déclarés décédés à
l’état civil d’Auschwitz les 18 et 19 septembre 1942, ainsi qu’un nombre
important d’autres détenus du camp enregistrés à ces mêmes dates. D’après les
témoignages des rescapés, ils ont tous été gazés à la suite d’une vaste sélection interne des inaptes au travail, opérée dans les
blocks d’infirmerie. Lire 80 % des 45000
meurent dans les 6 premiers mois, pages 126 à 129 in Triangles rouges à Auschwitz.
La mention Mort en déportation est apposée sur son
acte de décès (arrêté du 26 janvier 1995, paru au Journal Officiel du 8 mars
janvier 1995).
Son nom est honoré sur la stèle situé dans l’enceinte EDF à Vitry,
dédié aux employés de l’ancienne centrale électrique U.D.E. Arrighi Vitry-Sud
: soldats, déportés, civils, morts pour la France entre 1939 et 1945,
(y figure également celui d’Adrien Raynal, un 45000 d’Orly).
Son nom, est également
honoré sur la plaque située place des Martyrs de la Déportation à Vitry, inaugurée
à l’occasion du 50ème anniversaire de la déportation : 6 juillet 1942, premier convoi de déportés
résistants pour Auschwitz - 1175 déportés dont 1000 otages communistes - Parmi
eux 14 Vitriots (monument situé place des Martyrs de la Déportation à
Vitry : A la mémoire des Vitriotes
et des Vitriots exterminés dans les camps nazis).
À l’initiative de Robert
Vigreux, conseiller municipal, puis de Jeanine Horner, habitante du quartier du
Fort, le Comité du souvenir du Fort a été créé en 1962. Il a lancé une
souscription afin que soit réalisée une plaque à la mémoire de sept résistants
du quartier, morts dans la lutte contre l’occupant nazi (Jean Bécot, Georges
Beunon, Daniel Germa, Jean Hernando, Jules Lacombe, Roger Mauger et Léon
Moneger).
- Note 1 : Le camp d’internement administratif de Rouillé (Vienne) est ouvert le 6 septembre 1941, sous la dénomination de «centre de séjour surveillé», pour recevoir 150 internés politiques venant de la région parisienne, c’est-à-dire membres du Parti Communiste dissous et maintenus au camp d’Aincourt depuis le 5 octobre 1940. D’autres venant de prisons diverses et du camp des Tourelles. Il a été fermé en juin 1944. In site de l’Amicale de Chateaubriand-Voves-Rouillé.
- Note 2 : Marcel Algret, Maurice Alexis, Henri André, Jean Bach, Roger Desjameau, Louis Faure, René Faure, Georges Guinchan, Faustin Jouy, Henri Migdal, Marcel Nouvian, sont tous déportés à Auschwitz. André Giraudon, de Bourges, est fusillé à Compiègne le 10 mai 1942.
- Note 3 : Dix-neuf internés de cette liste de 187 noms ont été soit libérés, soit transférés dans d’autres camps, ou sont hospitalisés. Trois se sont évadés. Cinq d’entre eux ont été fusillés.
Sources
- Documents confiés par son frère à José Martin (photocopies des lettres de Clairvaux et Rouillé, convocation à la Commission de réforme (18 juin 40).
- Attestation du Préfet de l'Aube : Roger Mauger est détenu administrativement en vertu du décret du 18 novembre 1939.
- Liste de détenus transférés du camp de Rouillé vers celui de Compiègne le 22 mai 1942. Archives du Centre de documentation juive contemporaine : XLI-42.
- Death Books from Auschwitz / Sterbebücher von Auschwitz, Musée d’État d’Auschwitz-Birkenau, 1995 (basé essentiellement sur les registres (incomplets) des certificats de décès établis au camp d’Auschwitz entre le 27 juillet 1941 et le 31 décembre 1943, le décès des détenus immatriculés).
- Bureau des archives de la Division des victimes des conflits contemporains (Archives de Caen du ministère de la Défense). Liste communiquée par M. Van de Laar, mission néerlandaise de Recherche à Paris le 29.6.1948, établie à partir des déclarations de décès du camp d'Auschwitz. Liste Auch 1/7. Liste V: n° 31946 - Liste S n° 234
- La Résistance à Vitry, brochure édité peu de temps après la Libération par la municipalité, sans date.
- De l’occupation à la Libération, témoignages et documents, brochure éditée par la Ville de Vitry-sur-Seine, pour le 50ème anniversaire de la Libération, Paillard éd. 1994.
- © Photo de la porte d’entrée du camp d'Auschwitz : Musée d’Auschwitz-Birkenau.
- © Site Internet Mémorial-GenWeb.
- © Site Internet Légifrance.gouv.fr
- © Archives en ligne du Val de Marne
- © Fiches de police des commissariats d’Ivry et Vitry. Musée de la Résistance Nationale : mes remerciements à Céline Heytens.
- Archives de la préfecture de police de Paris. BA 2397.
Notice biographie
rédigée en 2003, installée en juin 2012 (complétée en 2019), par Claudine
Cardon-Hamet, docteur en Histoire, auteur des ouvrages : Triangles rouges à
Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942, Editions Autrement, 2005 Paris et de
Mille otages pour Auschwitz, le convoi du 6 juillet 1942 dit des
"45000", éditions Graphein, Paris 1997 et 2000 (épuisé). Prière de
mentionner ces références (auteur et coordonnées de ce blog) en cas de
reproduction ou d'utilisation totale ou partielle de cette biographie. *Pour compléter
ou corriger cette biographie, vous pouvez me faire un courriel à deportes.politiques.auschwitz@gmail.com.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire